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Lieu : Paris, 75, France

17.4.07

La très célibataire Nature

Il y a dix jours. Proposition alléchante. Cher cousin m'accompagneras-tu en ce samedi saint voir Notre pain quotidien? J'en ai entendu parler sur France Inter dans le Masque et la Plume. A la fin de l'émission tous les chroniqueurs balancent en une minute ce sur quoi ils ont flashé. Ca m'a hyper appaté! Il faut aller le voir! C'est pas loin, dans la rue, au Lucernaire. C'est un documentaire autrichien. Sans paroles. L'agro-alimentaire et les petits animaux en images. Ca risque de t'intéresser. Cui cui cui.

Nous débarquons le film a déjà commencé trois personnes dans la salle, vraiment toute petite salle, mais où est-on exactement? Début soft. Quelques végétaux un peu maltraités par l'Homme rien de bien méchant le XXIe siècle tel quel, engrais, pesticides et OGM sûrement. Tout se corse quand surgissent innocentes victimes les premières espèces animales. Des poussins. Par centaines. Sur des tapis roulants, catapultés, des flippers de poussins, des petits poussins tatoués. On jette à la poubelle les perdants. Couic. Couic.

Tous deux on cache notre malaise: on explose de rire.

Documentaire incroyablement provocant. Une heure et demi d'intrusions miraculeuses dans des grandes firmes, séquences souvent raffinées, même si on ne filme que du laid. Secouage d'olivier, rivières de pommes, ecorchage de cochons à la chaîne, électocution de boeufs surmusclés tout aussi à la chaîne, castration des porcinets encore à la chaîne. Je ne vous dis pas tout. Peut-être irez-vous voir. Le film ne s'arrête jamais ou presque, puisque tout est à la chaîne. Il faut produire, évidemment.

Nous ressortons abasourdis. Moi prêt à incendier le frigo et à faire la grève de la faim et à militer pour José Bové. Puis nous reparlons. Qu'est-ce qui nous fout si mal à l'aise? Où est le désagréable exactement pour un homme? A cause des employés, qui accomplissent ces tâches abominablement sanglantes et répétitives? Ou bien la formidable ribambelle d'animaux, incomptables et tous semblables? Ou encore ces machines incroyables inventées pour les tâches les plus invraisemblables, couper les pattes des cochons, scalper les boeufs, aspirateurs de poules, tunnels improbables, tronçonneuses pour couper les hyper boeufs en deux, des crochets, des couteaux, des lames de partout?

Nous tatonnons longtemps pour trouver la cause profonde du malaise.

Jaillit alors cette phrase complètement obscure de sa bouche: tu sais, on a vraiment l'impression que la Nature se masturbe. Pardon? C'est simple Pierre. Il y a une grande différence entre faire l'amour avec une partenaire et se masturber. Quand tu fais l'amour, tu accomplis quelque chose de cyclique, de prévu. C'est dans l'ordre des choses. La masturbation c'est solo une sorte de gâchis. Dans le film c'est pareil. Les animaux ne se rencontrent plus pour s' accoupler. Tu as bien vu on met le boeuf devant une génisse, on le fait bander et hop avant qu'il éjacule ces salops attrapent le sperme avec un outil barbare horriblement douloureux. Les animaux ne s'accouplent plus. Ne se rencontrent plus. Ils se masturbent. Pas au sens propre bien sûr. Ils se masturbent au sens où il n'y a plus ce cycle rassurant.

Sur le coup je ne tilte pas. Le lendemain matin, ses mots m'apparaissent plus nettement. Et oui, je crois saisir. Nous avons arraché à la Nature sa fonction mythique et par là-même rassurante. L'Homme ne peut plus prendre modèle sur ce qu'il voyait quelques décennies auparavant. Les amourettes entre animaux chantées par les poètes et citées par les philosophes, c'est fini, du moins quand on regarde un documentaire pareil. Nous avons presque réussi à supprimer la prépondérance du Cycle. Sa toute puissance effrayante mais bienveillante. C'est chose faite. L'Homme n'est plus entouré de ses compagnons primitifs sur la planète. Il n'est plus dans la Nature. Il l'a dominée, et se retrouve maintenant seul. Abandonné, laissé à lui-même. Sans ordre, sans modèle. Il peut tout faire, matériellement. Même ruiner le concept de Cycle. Mais les conséquences sont là, irréparables: une perte de sens. Affreuse. C'est un fardeau, de se dire qu'on peut tout faire, même briser des idoles.

Oui, je dirais volontiers que maintenant la Nature se masturbe, sous nos yeux et par nos mains. C'est peut-être ça aussi, l'homme nietzchéen.

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Deux Kinder au chocolat et mon Flanby que t'as écrit cet article a été écrit le jour même où t'as vu ce film.

10:58 AM  
Anonymous Anonyme said...

oups j'ai oublié de supprimer la partie à supprimer de mon texte, j'ai l'air con maintenant. Bon c'est pas grâve

10:59 AM  

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