Sarko, malgré lui, malgré moi
Ou la question cruciale de la fin et des moyens
C'est l'histoire d'un djeunz assez bohème et plutôt inconstant qui décide de voter Ségo au premier tour pour bloquer Sarko -Sarko fait peur-, très satisfait des résultats le soir des élections, et qui, quelques jours après, se demande s'il ne va pas voter Sarko au second tour pour empêcher Ségo d'être élue. Le comportement électoral de ce djeunz, plutôt déconcertant, serait suceptible de dérouter des analyses sociologiques ou bien, plus proche, son entourage. Il serait alors obligé, pour ne pas perdre tout crédit, d'expliquer son raisonnement.
Il commencerait pourtant par un réquisitoire bâteau contre Sarko. Ou une diabolisation sincère -puisque c'est le sujet chic en ce moment-, comme on veut. Le personnage Sarko est viscéralement infect. A se rouler dans la boue. Colérique comme pas deux, imbu de sa personne, souvent trop pragmatique. Etant très attaché à la parole, à la saveur des mots, à ce qui fait le charme d'un politicien, notre djeunz ne manquerait pas de s'insurger contre des discours dangereusement rassurants, dangereusement simplistes, dangereusement réconcialiateurs. Des relectures de l'histoire biaisées, des théories scientifiques dégotées à l'école primaire, une vision du mal plutôt fixiste. Et derrière tous ces discours, un vide colossal. Le vide derrière le verni. Des promesses à toutes et à tous, en masse, pour se faire élire. Manipulateur. Les Français croient encore à Santa-Clause. Et il le sait.
A cet instant précis, l'argumentaire se libérerait un peu des discours souvent réitérés. Notre jeune électeur soupirerait. Oui mais. Pas si simple. Vous savez. Il y a quand même une chose. Une tenacité incroyable habite le candidat. Quelles que soient les raisons par laquelle elle est mue, Sarko sait ou il va et s'en donne les moyens. Une chose est certaine: l'homme Sarkozy ne se laisse pas du tout effacer par ses idéaux, ni par son parti. L'homme, le caractère, bref, Sarkozy est farouchement présent.
Et ceci aux antipodes de sa candidate directe. Ségo, son ancienne roue de secours au premier tour. Le discours de Ségolène le soir des élections. Sègolène elle-même. Molle. Effacée. Sans conviction aucune. Le parfait contraire: la femme Ségo effacée derrière ses idéaux, complètement vide, et peut-être même affaiblie par le poids des éléphants, pas si éléphants que ça d'ailleurs, plutôt pirrahnas pas très futés sur ce coup-là.
Alors il en tirerait la conséquence suivante, peut-être à tort: Sarko président, les choses bougeront. Pour une seule raison, sa tenacité farouche, parfois hystérique. Les choses bougeront, certainement en mal (du point de vue du djeunz), mais quand-même. Rupture donc. Car cela fait à peu près dix ans qu'on baigne dans une espèce de soupe informe, dans une sorte d'inertie du pouvoir. Et il n'y a rien de pire pour un pays que d'être molaçon. Un des thèmes fétiches de Sarko: le travail. Soit. Et bien une chose est sûre, le candidat travaillera d'arrache-pied à consommer la rupture.
Il manquerait alors une seule étape au raisonnement, pour que le scénario soit à peu près enviable. Notre électeur insisterait sur un point essentiel: on souligne trop peu dans les théories politiques qu'un bon parti, généralement, se forme en réaction à quelque chose. Lorsqu'une situation a dégénéré, lorsqu'on on est allé trop loin, la force (même négative) de l'évènement nourrit allègrement les volontés les plus affectées. Il faut trouver une réponse de taille. Lutter. S'organiser donc. Changer ses stratégies. Et batailler. Cinq ans de Sarkozie pourraient générer malgré elles un dynamisme nouveau au sein de la gauche, et un renouveau de confiance et d'adhésion des électeurs. Un dynamisme quasi-mécanique, dont les bases reposeraient sur la tenacité originelle de Sarko, bonne ou mauvaise.
Evidemment, ceci nous ramène à l'éternelle question, sans réponse: la fin justifie-t-elle les moyens? Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit non? Accepter cinq ans de remou, bon ou mauvais, d'un candidat qu'on abhorre, pour espérer un renouveau mécanique. Des esprits malicieux s'écrieraient: autant voter Lepen alors? Attention à la pente glissante répondrait notre jeune offensé. La tenacité de Sarko n'est pas du tout semblable à l'extrêmisme d'un parti.
Voilà en substance, ce qu'il dirait. Voilà ce qui lui a traversé la tête depuis deux jours. C'est une manière étrange de raisonner, certes. Accepter un petit sacrifice pour un espoir futur. Sacrifier le court-terme pour imagnier la suite.
Enfin, notre jeune-pas-commode ponctuerait sa démonstration par une chose: il n'est pas du tout certain de l'effet escompté. Peut-on vraiment raisonner de la sorte? Cette vision des évènements est-elle illusoire? C'est pourquoi, hésitant, il serait ravi d'avoir l'avis de quelques lecteurs, incendiaire ou non.